ZYKË – L’AVENTURE — 44 : Epilogue

 

Episodes 43 et 44.

 

Au siège de VSD, dans le VIIIème arrondissement de Paris, la réceptionniste est une mure dame en robe satinée carmin, rouge à lèvres assorti, carré Hermès sur des fanons naissants, épais effluves d’Opium en son pourtour.
Elle nous apprend que François Siegel est absent en ce début d’après-midi et, réprobatrice quant à nos dégaines de pouilleux et les parfums qui vont avec, refuse de nous laisser aller plus loin que le hall.
– Le mieux, c’est de téléphoner.
– Je suis Cizia Zykë.
– Le mieux, c’est de téléph…
– Fait pas chier, Pomponnette.
– Mais je…
– Ta gueule.

Zykë jette le sac de Dekamarkt qui contient le manuscrit d’Amsterdam Zombies sur son desk et me dicte un billet que je griffonne sur un post-it concédé par la dame.
– Salut François. Voilà le bouquin que tu m’as demandé en septembre…
– Bouquin… sept… tembre…
– Disposes-en comme bon te semble…
– Comme… te semble…
– Et torche-toi avec…
– Et t…
– Je déconne !
– Ah…
– Amitiés… Passe que je signe.

 

L’aube du jour suivant nous trouve une petite station balnéaire du Bassin d’Arcachon déserte, désolée, que détrempent les déluges de novembre.
On s’enferme dans un pavillon aux murs suintants, nantis d’un poêle à alcool qui pue prêté par le frère de Zykë, un gros quincaillier de la région, et de cartons pleins de bouteilles de Cognac, de scotch et de vodka.
Après trois ou quatre jours et nuits pénibles, en proie aux douleurs et aux effrois du manque que des lampées incessantes d’alcool ne cautérisent guère, on aborde des rivages plus calmes, faits de simples malaises, de sommeils hachés de rêves dérangeants et d’heures vides, seulement emplie de tristesses bénignes.

On en sort à peu près d’aplomb à l’approche des fêtes de fin d’année et on s’installe à Bordeaux, Zykë chez sa mère, dans le quartier de la gare Saint-Jean, moi dans un pauvre hôtel à putes et poivrots pas très loin.

 

Pendant ce temps, en Albanie, le régime communiste a été renversé et la république instituée.
Des dizaines de milliers d’Albanais fuient le pays à bord de vieux cargos, de bateaux de pêche rouillés et de radeaux de bouées pour gagner les côtes de l’Italie et ce qu’ils croient être la terre promise.
Par l’intermédiaire de Claude Durand, le gars de chez Fayard, Ismaël Kadare fait prévenir Zykë que, s’il le désire, le moment est venu de retrouver son pays d’origine.
– Ami Cizia, tu es le bienvenu chez moi à Tirana, écrit-il.

 

Par l’entremise de Frédo, le chef des voleurs de voitures des Landes, Zykë trouve un acheteur pour la Rolls.
C’est un notable de Biarritz qui se pointe à la gare le jour dit.
Un tout petit monsieur coiffé d’une toque d’astrakan, engoncé dans un coûteux pardessus et chaussé d’impeccables bottines, qui porte en bandoulière une mallette d’aluminium aux bords arrondis, telle que celles dont on protège les caméras vidéos.
– Docteur Machin, se présente-t-il.
– C’est ça, c’est ça… Elle t’intéresse, la bagnole ?
– Hmm, voyons…

Pendant une demi heure, le docteur Truc furète, ouvre toutes les portières, caresse les placages blonds, tâte le cuir gris des sièges.
Démarre le moteur, l’écoute.
– Hmm… Hmm…
Lève les vantaux du capot, se penche sur la mécanique, vérifie que son numéro est bien celui qui figure sur la carte grise.
– Hmm…
Va à l’arrière, ouvre le coffre, s’y plonge.
– Hmm…

Ma gorge se serre quand il ouvre la boîte à gants du côté passager et en extirpe de ses petites mains blanches les papiers qui l’engorgent.

Deutschland.
Paris.
Sverige.
Barcelona…

Il y a là toute l’Europe en cartes fauchées dans des stations services, en plans de ville distribués aux comptoirs d’hôtels, en dépliants mal repliés, cornés, tachés d’auréoles de café, augmentés de cercles, de croix et d’annotations de ma main.
Pendant que le petit monsieur les sort par piles et les jette avec dédain sur le fauteuil, je parviens à articuler :
– J’vous les laisse, ça peut servir…
– P’tt, crachote-t-il, je n’en aurais pas l’usage.
– Ah ouais ?… Bon… Eh ben tant pis pour vous.

Je coule un regard vers le patron.
Il est impassible, les épaules posées sur une porte d’immeuble, une jambe pliée, dans l’attitude du voyou des rues que tout indiffère.
Mais moi qui le connais bien, je distingue l’ombre d’émotion qui noircit le bas de ses paupières.
Le durcissement des mâchoires.
L’infime vacillement de la flamme du briquet au bout du clope.

On se reverra.
Dans quelques années, on se retrouvera. Ici même, à Bordeaux.
Lui blessé par son échec en Albanie, moi vieilli par les guerres et les misères du Cambodge.
On s’embarquera pour d’autres voyages.
Il y aura d’autres livres. Les Aigles… Blasphèmes… La Révolte D’Amadeus Jones…

Mais, mais, mais…

Mais nous ne les écrirons plus que pour survivre, extirper un chèque à un éditeur, ou simplement faire ce qu’à deux nous avons toujours fait de mieux, pondre des bons bouquins.

Mais nous ne retrouverons plus jamais cette joie, cette fièvre, cette impatience, cette passion, cette folie qui nous ont si bellement portés.

Mais nous ne serons plus ces espiègles qui ont joué à se tailler une place dans l’histoire de la littérature confiture de France, narguant le front soucieux du père Victor, le lorgnon sceptique de l’oncle Emile, les ricanements du frangin Louis-Ferdinand et les œillades camarades de la cousine Albertine.

Elle se termine bien là, sur ce frisquet trottoir, notre aventure.

 

Le petit monsieur remet la mallette de plastoque à Zykë.
S’installe au volant.
Démarre.

Et nous, on la regarde nous quitter, notre vieille copine. Oh oui, on l’observe glisser le long du boulevard, soufflant une fumée blanche qui s’attarde dans l’air froid.

On la voit s’arrêter au feu rouge du carrefour.
Puis tourner.
Et disparaître.

 

Au Lambert, le bar P.M.U. en face de la gare, Zykë ouvre la mallette, en tire quelques liasses qu’il empoche, la pousse emplie du reste vers moi.
On se serre seulement la pogne par-dessus la table, longtemps, immobiles, en silence.

Puis il déploie son Paris-Turf et, ayant chaussé des lunettes empruntées à sa mère devant des yeux que les lectures, relectures et re-relectures de mes volées de pages ont vieillis, il s’absorbe dans l’étude des minuscules caractères des colonnes de pronostics.
Origines des chevaux, dernières performances, écarts-types…

Je referme la mallette.
Je me lève.
Je sors.

 

A la gare, je me poste en bout d’une file d’attente.

Devant moi, un couple de vieux espagnols s’engueule à mi-voix. Le monsieur est petit, trapu, coiffé d’une casquette à carreaux. Elle est presque plus grande que lui, les mains fourrées au fond des poches d’une veste de laine noire.
– Te digo yo…
– Pero por favor, por favor…

Au tableau des départs sont annoncés pour l’heure qui suit un train pour Madrid, via Irun et un autre pour Paris, via La Rochelle et Angoulême.
Nord ?
Sud ?
Il y a cinq personnes qui poireautent avant les espingouins.
Ça me laisse une bonne vingtaine de minutes pour décider.

 

– FIN –

Passeig de Gracia, 2012
Les Forges de Chenecey, 2014

 

36 commentaires

  • Rongoni traveller... dit :

    Et ces autres livres Les Aigles… Blasphèmes… La Révolte D’Amadeus Jones etc… n ont rien de croustillants à leur rédaction ? Comprend moi, j’voudrais que ça continue, ksa s’arrete pas, encore !!!

  • Sa dit :

    Mister Neal, Fucking good job.

  • Carlos dit :

    Je me garde les derniers textes pour les lires cette semaine, un grand merci M’sieur Poncet, bravo Thierry !

  • Guégan dit :

    Déjà la fin, les Samedis vont être ternes…Chapeau , à travers ton récit j’ai Vraiment retrouvé cette ambiance révolue des années 90, bon vent Sieur Poncet…

  • alekos dit :

    la fin qui tue…nouveau depart…on the road again…encore et toujours…

  • Haidouk dit :

    The end … ou pas … on a aussi aimé vos aventures à vous M. Poncet … si jamais vous vous laissez tenter par l’envie de nous les écrire … on sera là. Merci pour tout ca.

  • Fred dit :

    Ouais,quel blues,et quelle descente!
    Je ne pensais pas que l’immersion avait été jusque sous un pont…
    Les adieux,c’était pas son truc et moi j’ai les boules parce qu’il y a « fin » alors que d’autres livres mériteraient certainement aussi récit de leur génèse.
    En tout cas,je sens bien la cassure après cet épisode « dope »…
    A bientôt de vous lire,Msieur Poncet!
    Jusqu’ici,ça été un vrai plaisir et un vrai transport

  • phil dit :

    merci Thierry, de continuer à faire vivre Zykë avec ces petites nouvelles hebdomadaires…. j attends la suite , je ne conçois pas qu il n y en ait pas 😉

  • edmond de parentborde dit JC dit :

    Déjà ? On en veut encore Mr Thierry, faut raconter encore, et pis te raconter aussi , le Cambodge, Miami….encore,encore

  • Christophe dit :

    MERCI !

    Thierry, un grand merci pour avoir partagé avec nous toutes ces tranches de vos vies ; je ne comprends pas que ton style et le contenu de ce récit n’aient pas attisé la cupidité d’un éditeur.
    Envisages-tu maintenant de nous emmener avec toi au Cambodge ?

    Entretemps j’ai été transporté par les trois tomes de Haig, en attente du suivant.

    J’aurais vraiment aimé te rencontrer mais j’ai quitté la Franche Comté il y a bien longtemps … et tu as sans doute d’autres chats à fouetter 🙂

    Bonne continuation à toi et à tous tes lecteurs, quels que soient vos projets !

  • Thierry dit :

    Zyke nous manque alors à vous mr Poncet … merci en attendant votre aventure cambodgienne merci pour ces récit et ceux avenir.

  • Oliv' dit :

    Boulesque, la fin.
    Comme mes collègues fidèles blogers j’ai du mal à me résoudre à poser mon sac à dos après un tel voyage, du PMU de la rue St Martin à celui de la gare de Bordeaux… entre les deux : quelle aventure ! Merci M’sieur Poncet pour le partage.

  • sébastien dit :

    Le feuilleton du samedi de cette année 2016 ce termine. Pour moi c’est la première fois que je goûte à une telle expérience et je peux dire que je n’ai pas été déçu.
    J’ai su apprécier l’histoire, cette histoire commençait avec la trilogie et que vous avez prolongé jusqu’à ce 10 Décembre. Mais j’ai découvert votre style: désinvolte et soutenu, poétique et trivial, joyeux et désespéré, bref un style oxymorique dirons-nous. Mais aussi votre sans du découpage, implacable. J’avoue que votre fin ma bluffer, digne des meilleurs scénarios, de ceux où l’on rage d’être abandonné par l’auteur au bord du chemin mais où l’on fini par se dire qu’il a eu (l’auteur) le respect de croire que son lecteur était suffisamment intelligent pour s’inventait lui même la suite.
    Ceci étant dit, comme les autres bloggers, je serais le premier lecteur de vos aventures en solo.
    Encore merci de nous avoir fait partager en toute gratuité une partie de votre talent de conteur, d’écrivain.

  • Michel dit :

    Venu par curiosité pour en savoir plus sur Mr Zykë, je vous ai découvert et quel pied :). J’ai hâte de lire la suite, votre suite, votre vie. Sincèrement Merci

  • Carlos dit :

    @fred

    quand on lit Amsterdam Zombie, on sent quand même que c’est du vécu, du journalisme-romancier total, j’ai toujours pensé que zyke l’avait vraiment fait pour ce bouquin, sachant qu’il connaissait l’héro avant, mais m’sieur poncet état là lui aussi ! ensuite le côté bukowskien du tox qui se chie dessus ça me semble des indices, des traces palpables, dans le texte…

  • Carlos dit :

    au fait, j’ai la K7 VHS de zyke en albanie… à ma connaissance elle n’existe pas en entier sur youtube. Il faudrait la numériser, je peux la donner à qui veut le faire, ya des boites qui font ça encore aujourd’hui. Je suis vers Paris…

  • Carlos dit :

    je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais j’avais participé à une réunion de « fans » d’édourad baer à une époque, ça serait marrant de faire ça un de ces 4 version Zykë… chacun apporterait des bouquins que d’autres n’auraient pas lus, et pas que du cizia, des auteurs qui font voyager, enfin bref, une rencontre à la taverne du presque-enfer 😉

  • Oliver Twist dit :

    Ouais Carlos moi je dis bonne idée tous chez Thierry avec l’orchestre des Super Patatos Valdez, boucan d’enfer comme dirait Renaud, mais il faudrait quand même se lever de bonne heure pour faire une fiesta digne de celle en Australie avec les kangourous rôtis… Quand j’y pense ça fait drôle de se dire que le voyage est fini, c’est comme un bon pinard, la saveur reste longtemps au palais, ou quand tu as vu un film d’exception au cinoche, tu sors tu sais plus où t’as garé ta bagnole, tu trouves plus tes clefs, tu te sens à côté de tes pompes. Moi en tout cas j’ai la certitude que je relirai ce bouquin un jour, tout comme j’ai relu Oro. Salut à la Zykë community..

  • Kévin dit :

    Un grand merci M’sieur Poncet pour ce récit complet pendant toute cette année 2016! 🙂

  • joe tata dit :

    Comme boxé, entre les souvenirs signés Cizia, la Beauté d’écriture et ce final d’une beauté tendre,
    j’en sort avec les yeux mouillés… Un grand bravo et merci Monsieur Poncet !

  • joe tata dit :

    Bon, désolé, je suis un peu bourré… L’émotion avant l’orthographe 😀

  • JB dit :

    Merci m’sieur Poncet pour nous avoir régalé tout au long de cette année avec vos récits. Quand j’ai lu Amsterdam Zombie je m’étais fais la réflexion d’avoir l’impression de lire un article de journaliste gonzo comme Hunter S. Thompson plus que de lire un roman. Votre explication de l’origine de ce texte confirme mes impressions.
    Je voudrais savoir si il est possible de se procurer Angie et Alma quelque part? Peut être les éditions Taurnada pourrait elle être intéressée?
    Pour répondre à Carlos, je peux faire numériser des VHS à mon boulot, si tu es intéressé, tu peux me faire signe!
    Encore merci pour ces tranches de bonheur et bonnes fêtes de fin d’année! Rendez-vous en 2017!

  • Carlos dit :

    @ JB :
    tu peux me contacter en récupérant mon adresse e-mail ici :
    http://pastebin.com/eFnHi9v9

  • Carlos dit :

    Outre les romans de Thierry aux éditions Taurmada, je vous encourage à lire les premières pages du Sauveteur de Touristes, voire à l’acheter :
    https://www.taurnada.fr/catalogue/thriller/le-sauveteur-de-touristes/

    puisqu’on n’est plus que des touristes, ah la la, l’aventure !

  • Florian dit :

    Bravo M’sieur Poncet. C’est du billard.

  • eddy dit :

    J’ai lu que le début et je vais pouvoir tout me faire d une traite. .. ce fut long ! Ca va être bon 🙂

  • Anthony dit :

    Des nouvelles de « l’édition papier »?

  • Editions papier z’et numérique le 12 octobre, les poteaux. Paré à y aller ? Paré !

  • David dit :

    Je viens de finir le livre (en ebook). Un sacré grand bouquin! L’épilogue m’a laissé dans le même état de vide qu’après avoir lu « Le Grand Meaulnes » (il y a des années…).

  • Sir Ivan Gordon Stephen dit :

    ZYKE c’est que de la MERDE de pervers narcissique et totalement MYTHO !!!

    Sortez vous les doigts du cul au lieu de vous branler en lisant ces conneries !!!

    et faites quelque chose de votre vie, bande de petits con !!!

    • Thierry dit :

      Sir Ivan de mon cul est si tu allait tous simplement te faire enc…. .sa te fera pas de mal vu que ta pas l air d avoir grand chose à faire d autres.si t aime pas quelq un interesse toi pas à lui est passe ton chemin

      • Albert dit :

        Laisse Thierry… parle pas aux cons ça les instruit !

        Comme disait Einstein : « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue… « 

  • ALEKOS dit :

    Cher Albert, vu l’orthographe minable du post de « Thierry », il m’est avis que la personne à qui tu t’adresses ne soit pas Thierry…(Ambiance film noir policier, accord piano plaqué fermement …) « Bon sang mais c’est bien sur… » Zoom avant sur le personnage principal : « Je te rejoins évidemment dans ta citation d’Einstein sur la connerie, ainsi que celle d’Oliv, qui a cité Chabrol de manière fort élégante… Pour ne pas être en reste, je ressort la fameuse « les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait » de Michel Audiard. » Fin de la scène.

  • Albert dit :

    Oui il ne sagit certainement pas de msieur Poncet mais qu’importe, je pense que Thierry soit bienvenu sur le blog même avec une orthographe hésitante, au contraire !
    Il y en a bien qui écrivent des inepties sans faire de fautes, alors que Thierry a un franc-parlé fleuri et ne dit que des choses très sensées !
    Salut les vieux gars, et merci à Audiard pour les emprunts..

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