Kampuchea Songs – 09 : Boulevard Massacre

 

Photos de Serge Corrieras
Textes de Thierry Poncet et Serge Corrieras

 

Il faisait beau ce matin. Le soleil dansait sur le trottoir. Le vent caressait les flamboyants.
Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
J’ai vingt ans.
Je viens du village de Tak Mau, dans la banlieue de Phnom Penh. Tous les matins, je parcours dix kilomètres pour venir dans le centre-ville.
Parfois, on peut partager un moto-taxi avec des copines. Parfois non.
Je travaille dans l’atelier d’un fabricant de meubles en bambou près du Marché-Russe. Mon patron est sino-khmer. Il dit que si je travaille bien, j’aurais moi aussi un jour mon propre atelier.
Mais ça ne se fera pas.
Car des hommes puissants se battent pour le pouvoir.
Car la terreur est une de leurs armes.
Car des grenades en grappes ont craché leurs postillons de métal partout sur mon corps.
Je vais mourir dans un instant.

 

Attentat-01

 

Il faisait beau ce matin. Le soleil dansait sur le trottoir. Le vent caressait les flamboyants.
Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
J’ai vingt ans.
J’étais encore une enfant quand, dans notre village des alentours de Kampong Speu, mes parents ont été tués une nuit par une bande de pillards de paysans. Alors j’ai été recueilli par ma tante et je vis avec elle et mes cousins dans un appartement voisin du monument de l’Indépendance.
Ma tante est sévère. Elle a voulu que je travaille bien à l’école car une fille socialiste doit profiter de l’éducation. J’ai obéi et, à la saison sèche de cette année, je devais entrer à l’Institut Supérieur de Technologie.
Mais ça ne se fera pas.
Car des hommes puissants se battent pour le pouvoir.
Car la terreur est une de leurs armes.
Car des grenades en grappes ont craché leurs postillons de métal partout sur mon corps.
Je vais mourir dans un instant.

 

Attentat-01

 

Il faisait beau ce matin. Le soleil dansait sur le trottoir. Le vent caressait les flamboyants.
Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
J’ai vingt ans.
Je travaille dans un restaurant de l’avenue Monivong, où viennent beaucoup des Etrangers des organisations humanitaires.
J’aime bien travailler avec les Occidentaux. Ils sont très gentils et ils ont beaucoup d’argent.
On m’a expliqué que mon pays sera bientôt fréquenté par des touristes du monde entier et que ce sera ma chance pour avoir beaucoup d’argent. Je me suis inscrite dans un des ateliers d’enseignement de l’anglais qui ont ouvert autour du Musée des Beaux-Arts. C’est cher, mais, comme je souris beaucoup, j’ai beaucoup de pourboires.
J’étais bien partie pour devenir guide touristique pour les Etrangers.
Mais ça ne se fera pas.
Car des hommes puissants se battent pour le pouvoir.
Car la terreur est une de leurs armes.
Car des grenades en grappes ont craché leurs postillons de métal partout sur mon corps.
Je vais mourir dans un instant.

 

Attentat-01

 

Il faisait beau ce matin. Le soleil dansait sur le trottoir. Le vent caressait les flamboyants.
Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
J’ai vingt ans.
Mon père avait une rizière dans notre village, dans la région de Kampong Thom. Après les élections, il y a eu beaucoup de problèmes et un homme riche a dit à mon père qu’il avait les papiers de propriété d’avant la guerre et que la loi était pour lui. Aujourd’hui, mon père travaille toujours à la rizière mais elle n’est plus à lui.
Je suis venue dans la capitale et je travaille dans une des usines textiles que se sont construites au bout du boulevard Norodom. Le salaire est très bon. Je gagne plus d’argent que mon père.
Le samedi soir, on va manger avec mes amies dans un restaurant pas loin de l’usine. C’est très amusant. Parfois, on boit un peu et on rit beaucoup.
Mais je faisais attention à ne pas dépenser trop d’argent. Si j’avais assez d’économies, bientôt, j’aurais pu me marier avec un garçon et ce serait lui qui aurait travaillé et moi je me serais occupée des enfants.
Mais ça ne se fera pas.
Car des hommes puissants se battent pour le pouvoir.
Car la terreur est une de leurs armes.
Car des grenades en grappes ont craché leurs postillons de métal partout sur mon corps.
Je vais mourir dans un instant

 

Attentat-01

 

Il faisait beau ce matin. Le soleil dansait sur le trottoir. Le vent caressait les flamboyants.
Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
J’ai vingt ans.
Mon père est fonctionnaire. Toute sa vie, il a travaillé pour le Ministère de la Santé. Ma mère a été élève à l’école des sages-femmes mais elle ne s’entendait pas avec les professeurs vietnamiens et elle n’a jamais eu son diplôme.
Depuis deux ans, je suis aide-soignante dans le service néo-natalité de l’hôpital de la mission suisse Kanta Bopha. Bientôt, un nouvel hôpital suisse va ouvrir dans la ville de Siem Reap. Je devais y devenir infirmière.
Mais ça ne se fera pas.
Car des hommes puissants se battent pour le pouvoir.
Car la terreur est une de leurs armes.
Car des grenades en grappes ont craché leurs postillons de métal partout sur mon corps.
Je vais mourir dans un instant.

 

Attentat-01

 

Je m’appelle Chanda, ou Siri, ou bien Moeung.
Dans un instant, je vais mourir.

Mais avant, des policiers vont attraper par les épaules le photographe étranger penché sur moi.
Ils vont l’éloigner de force en le menaçant de leurs armes.

Le photographe étranger va crier, mais ils ne le laisseront plus s’approcher.
Et ils ne lui diront jamais rien de moi.

Je crois que les policiers sont des amis de ceux qui ont jeté les grenades.

J’espère que le photographe étranger se souviendra de ce beau matin.
Des appels joyeux des marchands.
Du vent dans les flamboyants.
Du soleil sur le trottoir.

De longs cheveux noirs.

De moi.

(A suivre)

 

3 commentaires

  • LECHAUVE Dominique dit :

    Entrez un commentaire, mais quel commentaire? comment un commentaire pourrait exprimer mieux le ressenti de ce que je viens de lire. Combien encore de pays au monde sont sous le joug des dictatures de toutes formes?
    allons média de toutes sortes, les chutes d’avions et d’hélicoptères, si graves sont ils , sont plus vendeurs que la réal politique. Circulez , il n’y a rien çà voir.

  • Serge Corrieras dit :

    + de 20 ans que cette image me noue les tripes et me hante. A propos de tripes, j’ai étais tellement stupéfait et abasourdi, à Mongkol Borei par l’arrivée d’une paysanne, qui avait dû parcourir des kilomètres en char à bufffes, sur des pistes défoncées et minées, avec un couvercle de marmite sur le ventre. Pour expliquer son problème aux membres du C.I.C.R. elle simplement ouvert le couvercle, et toute la tripaille a dégueulé. On ne peut pas être plus explicite! J’étais tellement interdit, que étais incapable de dégainer. Le temps que je réagisse, elle était déjà prise en charge et l’action était passée. Encore une image de cauchemar mais que j’ai encore en tête, le cadrage, la lumière, le fond, le contexte. Je serais capable de la reconstituer dans un contexte cinématographique. Qu’est il advenu de cette pauvre femme, victime d’un éclat d’obus? je l’ignore, je crois qu’elle était foutue. Elle était belle et digne dans sa souffrance. Paix à son âme.

  • Cranky Brice dit :

    En 1997, putain !!!
    Comment être philanthrope après avoir vécu toute cette ignorance idéologique?
    Hardcore l’argentique.

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