Bouquin-quizz n°5

Bonjour à tous.

Voici un extrait de…
Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.

Indice : ce bouquin a été adapté au cinéma, avec Yves Montand au casting.

Et si ça ne vous amuse pas de deviner, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !


– Anda, Manolete, anda !
– Anda, toro ! Que bravo !
Les voix résonnaient fort dans la salle du Corsario Negro, le mauvais lieu de Las Piedras, et pourtant semblaient retransmises par quelque haut-parleur. A les entendre, on ne pensait pas au spectacle des aficionados debout sur les gradins, on cherchait des yeux le poste de radio grésillant qui captait le compte-rendu d’une corrida. Peut-être était-ce la faute du brouillard moite qui flottait dans la maison comme sur la ville. Les habitants de Las Piedras appelaient ça l’haleine du caïman, à cause des innombrables crocodiles qui infestaient le delta. Tout de même, c’étaient bien des voix de chair et d’os, pas des discours de boîte électrique. A les entendre de nouveau, il n’y avait pas à se tromper :
– Matalo, toro !
– Respecto a Manolete, que ya es muerto !
– Que va, muerto ? Maricon Dios !

Ils étaient trois, assis à l’écart autour d’une table.
La salle était grande. Les murs blancs s’ornaient de lithos publicitaires. A droite en entrant, le comptoir. Un authentique portrait du Corsaire Noir, qui n’avait jamais existé, le surmontait. Il portait un pistolet au bout de chaque poing, un sabre d’abordage entre les dents, une fille sur les avant-bras et, pour les yeux, le peintre avait employé un produit phosphorescent. La fille était à demi impudique, assez belle ; la fière allure de son ravisseur semblait l’émoustiller violemment. Celui de ses seins qui débordait son corsage arborait une carnation plus que parfaite. Mais des vandales avaient dessiné un peu partout sur sa personne des emblèmes sexuels extrêmement naïfs.

Au fond, cinq alvéoles dont les rideaux de couleur vive masquaient l’ouverture : c’est là que ça se passait. Les filles se tenaient assises derrière une longue table de bois sombre. Une seule était belle : Linda, qui appartenait à Gérard, l’ancien contrebandier. Mince, brune, dure de tout le corps, elle représentait le type parfait de la race métisse, la chola, avec ses cheveux noirs lisses, sa peau fine et douce. Les quatre autres étaient laides, à ceci près que leur lourdeur, leur hébétude conféraient à leurs formes de bête une sensualité insistante, forte.

Il n’y avait pour ainsi dire personne au Corsario à cette heure. Dehors pesait la pénible chaleur de la pleine matinée. Dans un instant, vers onze heures, ce serait le coup de feu de la sortie des docks. Les travailleurs du port viendraient reprendre un peu de courage devant un verre d’aguardiente, respirer l’odeur des femmes. Quelques-uns se laisseraient prendre au piège de deux cuisses brunes aperçues par la fente d’une jupe, d’une langue passée sur des lèvres trop chargées de rouge. Gagnant devant eux les cellules du fond, les femmes se hâteraient, les hanches tressautant à chaque pas. Ils tireraient le rideau derrière eux, et ce serait pire que s’ils faisaient l’amour devant tout le monde.

Mais, pour l’instant, tout restait bien calme. Il n’y avait que les fumeurs de marijuana.
Car les cigarettes de carton d’où les trois hommes faisaient jaillir de lourdes bouffées grises étaient bourrées de marijuana, la drogue des délires dirigés. Il suffit de quatre grammes d’herbe, on ferme les yeux, la foire aux rêves est ouverte, faites votre choix. En un quart d’heure vous serez Hitler dansant la gigue sur le terre-plein de Chaillot, le coureur au volant de la Maserati que vous avez toujours voulu – et jamais pu – vous offrir, l’amant de Rita Hayworth avec les détails, professeur de philologie aux Langues Orientales et père de quintuplées. Ça ne se terminera pas par le suicide au bunker, par l’écrasement sur un platane, la voiture en flammes, ni par une maladie honteuse. Vous aurez fait l’amour sept fois, et envie de recommencer ; il n’y aura plus pour vous d’étymologies inconnues ou même douteuses ; et vous serrerez la main du roi d’Angleterre.
Evidemment, quand on se réveille, tout est à recommencer.

9 commentaires

  • P'tit Gibus dit :

    – Y aurait pas aussi Charles Vanel dans le film ?

    – affirmatif !

    – Alors évidemment ça sélectionne sec.. ça serait pas une histoire de camions des fois ?

    – affirmatif !

    – Bon bon, on se rapproche.. Y aurait pas des fois un genre de suspens avec de la nitroglycérine ?

    – affirmatif ! …avec de la tôle ondulée !

    – Ouais ouais je vois, pis la nitro et la tôle ondulée ça fait pas bon ménage, pas vrai ?

    – Affirmatif !

    – Bon allez je me risque : ça serait pas des fois « Le salaire de la peur » ton roman ?
    Tu vas me dire le film est tellement célèbre que je savais même pas qu’il était tiré d’un roman… Georges Arnaud pas vrai ?

    • Gagné.
      La prochaine fois, je ne mentionnerai pas Montand en indice…
      C’est en effet un extrait du Salaire De La Peur de Georges Arnaud, publié chez Julliard en 1950 et adapté au cinéma par Henri-Georges Clouzot trois ans plus tard. Ta réponse laisse entendre que tu ne connaissais pas l’existence de Georges Arnaud, ts, ts, ts… Et que par ailleurs tu ne l’as pas LU, aïe, aïe, aïe, Olivier…
      Je t’invite à aller consulter l’article Wikipedia concernant ce personnage hors du commun, fantasque, mystérieux, aventureux et rebelle, pote de Kessel, Prévert et j’en passe. L’article n’est pas mal foutu (ça arrive, ça arrive…).
      J’ajoute encore que cet Arnaud là n’a rien à voir avec G.J. Arnaud, le génie prolifique de la maison Fleuve Noir, à qui j’ai dédicacé La Citadelle d’Albanie, et dont nous recauserons bientôt, promis.

      • Oliv' dit :

        Oui bien sùr la présence d’Yves Montand au casting m’a permis de trouver car je ne connaissais pas le Roman, ni – je le confesse humblement – l’existence de Georges Arnaud.
        Je me rends compte que ma culture littéraire a d’immenses vides mais nous sommes là pour les combler pas vrai ?
        Alors merci car elle vient de s’enrichir de ce nouveau personnage qui effectivement ne manque pas d’intérèt, surtout quand on sait que Le Salaire de la peur a été en grande partie inspirée de son expérience personnelle en Amérique du Sud.
        De nouveau un type à la Monfreid, lui aussi chercheur d’or ( ça me rappelle vaguement quelqu’un…) chauffeur de camion dans des Pays sans foi ni loi… Bref plutôt dur à cuire !
        Désopilant le fait que votre « ami » De Villiers figure également dans sa bio, pour avoir – soi-disant – receuilli sa confession sur l’affaire criminelle qui avait endeuillé sa famille… Sacré Gégé, toujours dans les coups fumants !
        Gracias de nuevo Thierry !

      • C’est un plaisir….
        « Gégé du Bidet », disait Cizia, qui le surnommait également « Flaque d’huile ».
        Je consacre un chapitre sur nos démêlés avec lui dans « Zykë l’Aventure »,
        ça devrait te plaire. Encore un peu de patience…

  • Oliv' dit :

    Allez tiens, pour me faire pardonner je t’offre – à toi et à tes blogueurs ( blogers ?)- le Quizz-Bouquin n°6…

    Comme indice je te dis seulement que c’est un roman « assez » sombre, écrit à l’encre noire sur fond noir, mais bien lisible quand mème, c’est ça l’exploit…
    L’auteur sera d’ailleurs plagié par la suite par des écrivains de grand talent ( Sartre, Camus, Henry Miller, Marcel Aymé, Antoine Blondin, Alphonse Boudard, San Antonio, Charles Bukowski…) mais aucun aucun ne réussira à approcher  » la clarté de sa noirceur, l’amoralité de son apocalypse, l’hystérie de son cauchemar, le dégout de son épopée… »

    …et pis moi je suis plongé dedans c’est pour te dire !

    ********************************

    Nous revenions vers la foule et puis je la laissais devant sa maison, parce que la nuit, elle était prise par sa clientèle jusqu’au petit matin. Pendant qu’elle s’occupait avec les clients, j’avais tout de mème de la peine, et cette peine me parlait si bien d’elle, que je la sentais encore mieux avec moi que dans la réalité. J’entrais dans un cinéma pour passer le temps. A la sortie du cinéma je montais dans un tramway, par-ci par-là, et j’excursionnais dans la nuit. Après deux heures sonnées montaient les voyageurs timides d’une espèce qu’on ne rencontre guère avant ou après cette heure-là, si pàles toujours et somnolents, par paquets dociles, jusqu’aux faubourgs.

    Avec eux on allait loin. Bien plus loin encore que les usines, vers les lotissements imprécis, les ruelles aux maisons indistinctes. Sur le pavé gluant des petites pluies d’aurore le jour venait reluire en bleu. Mes compagnons du tram disparaissaient en mème temps que leurs ombres ; ils fermaient les yeux sur le jour. Pour les faire parler ces ombreux on avait du mal. Trop de fatigue. Ils ne se plaignaient pas, non, c’est eux qui nettoyaient pendant la nuit les boutiques et encore les boutiques et les bureaux de toute la ville, après la fermeture. Ils semblaient moins inquiets que nous autres, gens de la journée. Peut-ètre parce qu’ils étaient parvenus, eux, tout en bas des gens et des choses…

    • D’accord. Je rebaptise celui de lundi 24 novembre « Quizz n°7 ». Je t’envie, tu sais. Le premier embarquement en « Voyage », ça vous marque une vie. A le lire jusqu’au bout de la nuit, pas vrai ?

  • Oliv' dit :

    Oui tu n’es pas loin Thierry, tu es sur la bonne voie je dirais…
    Voyons si dans ta blogosphère quelqu’un peut nous donner le nom de cet auteur qui avait choisi comme pseudo le prénom de sa grand-mère !
    mais là franchement ça devient facile…

  • johann sosson dit :

    bonjour thierry bonjour oliv la je trouve qu’il y a de l’abus………

  • Oliv' dit :

    @ Johann : mais encore ? As tu trouve’ de quel écrivain il s’agit ?
    Ciao !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *