Bouquin-quizz n°9

Bonjour à tous.

Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Je prends la plume en l’an de grâce 17… et retourne à l’époque où mon père tenait l’auberge de l’Amiral-Benbow, et au jour où le vieux marin à la peau basanée et balafrée d’un coup de sabre prit pour la première fois logement sous notre toit.
Je me souviens de lui comme si c’était hier et je le vois s’avancer à pas lourds vers la porte de l’auberge, son coffre de marin derrière lui sur une brouette : c’est un homme grand, fort, puissant, dont les cheveux bruns retombent en un catogan poisseux sur les épaules d’un manteau bleu souillé de taches ; ses mains aux ongles noirs et cassés sont rongées et recouvertes de cicatrices ; la balafre à travers sa joue est repoussante et d’un blanc livide. Je le vois parcourir la crique du regard tout en sifflotant, puis tout à coup entonner cette vieille rengaine de matelot que, par la suite, nous devions si souvent entendre : « Nous étions quinze sur le coffre à l’homme mort – Yo-ho-ho, et une bouteille de rhum ! » d’une voix aiguë et chevrotante qui semblait avoir été rythmée et brisée par les manœuvres. Ensuite, il frappa à la porte avec un bâton qui était comme un anspect et, quand mon père apparut, d’un ton brusque, il commanda un verre de rhum. Il le but posément et le dégusta en connaisseur, sans cesser d’examiner tour à tour les falaises et notre enseigne.
« C’est une bonne crique, dit-il enfin, et l’auberge est bien située. Beaucoup de monde, camarade ? »
Mon père lui dit qu’il avait très peu de clients et qu’il le regrettait.
« Tant mieux, dit l’autre, c’est le bercail qu’il me faut. Oh hé ! l’ami, cria-t-il à l’homme qui poussait la brouette, accostez ici et montez mon coffre.
« Je vais rester ici un moment, continua-t-il. Je ne suis pas difficile, du rhum et des œufs au lard, c’est tout ce que je demande, et ce poste, là-haut, pour surveiller les navires au large. Comment allez-vous m’appeler ? Vous pourriez m’appeler « capitaine ». Ah ! je vois ce qui vous inquiète (et il jeta trois ou quatre pièces d’or sur le comptoir).
« Vous me préviendrez quand j’aurais dépensé ça », dit-il, l’air aussi méprisant qu’un amiral.
Et à vrai dire, si sales que fussent ses vêtements et si rude que fut son langage, il ne donnait pas l’impression d’être un simple matelot mais un maître qui ne souffre pas la désobéissance. L’homme qui avait roulé la brouette nous dit que la malle-poste l’avait déposé la veille au matin au Royal-Georges et qu’il s’était informé des auberges situées le long de la côte. J’imagine qu’il avait choisi la nôtre comme lieu de résidence parce qu’il avait entendu dire qu’on y était bien et qu’elle était isolée. Et c’est tout ce que nous pûmes apprendre sur notre hôte.
C’était un homme habituellement très taciturne. Le jour, il errait autour de la baie, ou sur les falaises, muni d’une lunette d’approche en cuivre ; le soir, il s’asseyait dans un coin de la salle, près du feu, et buvait des grogs très forts. La plupart du temps, il ne répondait pas quand on lui adressait la parole mais vous regardait brusquement d’un air féroce, et soufflait dans son nez comme dans une trompe par temps de brume ; aussi, tout comme les gens qui venaient chez nous, nous apprîmes bientôt à le laisser tranquille. Chaque jour, au retour de sa promenade, il demandait si aucun marin n’était passé sur la route. D’abord nous pensâmes qu’il nous posait cette question parce que la société de ses pareils lui manquait ; mais finalement nous comprîmes qu’il voulait au contraire l’éviter. Quand un marin s’arrêtait à l’Amiral-Benbow (c’était le cas de ceux qui, de temps à autre, allaient à Bristol en suivant la côte), il l’examinait à travers le rideau de la porte avant d’entrer dans la salle, et on pouvait être sûr qu’il ne dirait mot tant que l’autre serait là. Pour moi, du moins, il n’y avait pas de mystère à ce sujet car, à ma façon, je partageais ses craintes. Un jour, en effet, il m’avait pris à part et m’avait promis de me donner une pièce de vingt sous le premier de chaque mois si seulement je voulais « veiller au grain » et l’avertir si ‘un loup de mer à une jambe » survenait.
Souvent, quand le premier du mois approchait et que je lui réclamais mon salaire, il se contentait de souffler par le nez et de me regarder fixement de haut en bas, mais avant que la semaine fut écoulée, je pouvais être sûr qu’il reviendrait à des meilleurs sentiments, me donnerait mes vingt sous et me réitèrerait son ordre de veiller « au loup de mer à une jambe ».
A quel point ce personnage hantait mes rêves, j’ai à peine besoin de vous le dire. Par les nuits de tempête, quand le vent secouait les quatre coins de la maison et que le ressac rugissait dans la baie et assaillait les falaises, je le voyais sous mille formes, avec mille expressions diaboliques. Tantôt la jambe était coupée au genou, tantôt à hauteur de la hanche ; ou encore c’était une créature monstrueuse qui n’avait jamais eu qu’une jambe, et celle-ci au milieu du corps. La voir sauter et courir derrière moi par-dessus les haies et les fossés était le plus atroce des cauchemars. Somme toute, avec ces épouvantables visions, je payais assez cher mes vingt sous par mois.
Mais, bien que je fusse terrifié à l’idée du loup de mer à une jambe, j’étais beaucoup moins effrayé par le capitaine que tous ceux qui le connaissaient. Il y avait des soirs où il prenait un peu plus de grogs que sa tête n’en pouvait supporter, et alors, parfois, il s’asseyait et chantait ses maudites vieilles rengaines de marin, sans s’occuper de qui que ce fut. Mais d’autres fois, il offrait une tournée générale et l’assistance intimidée devait écouter ses histoires et reprendre en chœur son refrain. Que de fois j’ai entendu la maison retentir de son « Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum » et chacun, par peur, chantait plus fort que son voisin. Dans ces crises, c’était l’homme le plus tyrannique que j’aie jamais connu ; il frappait sur la table pour exiger le silence ; pour une question qu’on lui posait, ou qu’on ne lui posait point, il se mettait en fureur, car il jugeait par là que la compagnie n’écoutait pas son récit. Et il ne permettait à personne de quitter l’auberge, avant que lui-même, ivre mort, se fût traîné jusqu’à son lit.

7 commentaires

  • Ben Gunn dit :

    Y a même un perroquet qui crie  » pièce de huit !  » y a aussi un Fortin à défendre dans la jungle, une goélette ancrée dans la baie qu’il faut aller ravir aux méchants… Et puis il y a un trésor sur cette île les gars ! Robert-Louis Stevenson Isn’t it ? so Long John Silver…

  • johann sosson dit :

    c ‘est pas souvent que j’arrive a trouver au quiz y a des clients mais la c’est l ile aux tresors

  • Yo ho ho. Z’avez touché bon port, mes loups de mer ! Sans louvoyer, droit au mouillage… C’est bien le maestro Robert-Louis Stevenson, les premières pages de l’un de ses ouvrages les plus connus, « L’Île Au Trésor », dans une édition de poche de 65, qu’un bouquiniste me céda pour cinquante sous. La traduction est de Mr André Bay et la préface toute en pièces d’or de Pierre Mac Orlan : « Vers l’année 1900, on pouvait encore découvrir sur la côte bretonne, entre Lorient et Brest, une petite auberge en forme de crabe isolée dans la nature sauvage du Finistère, fréquentée par quelques pêcheurs et des douaniers du sloop de la douane… ». Ce que c’est que le métier, tout de même ! Le trésor est à vous, les gars.

  • Vendredi dit :

    Dans un genre similaire et tout aussi passionnant il y a aussi « les aventures de Robinson Crusoë » de Daniel Defoe paru en 1719, presque 160 ans avant l’ile au trésor.
    La genèse du bouquin est intéressante car Defoe aurait lu dans un journal local anglais le récit de la mésaventure d’Alexandre Selkirk qui fut debarqué sur sa demande par son capitaine sur une île deserte au large du Chili car il refusait d’affronter le retour vers l’Angleterre par le Cap Horn sans effectuer des reparations sur la coque du navire…
    Selkirk passa donc un peu plus de 4 ans dans une complète solitude sur son île entouré de ses chèvres, et passera à la postérité sous le nom de Robinson Crusoë grâce à Daniel Defoe.
    Pour l’anecdote : même s’il avait supplié son capitaine de le réembarquer après son coup de tête – qui refusa – , il avait pris la bonne décision car le bateau coula au large du Horn…
    Et Yo-Ho-Ho et une bouteille de rhum !

  • Ferdinando dit :

    Et pour remonter encore dans le temps, je vous conseille la lecture de la biographie de Magellan par Stefan Zweig ou l’on s’embarque pour le premier tour du monde de l’histoire universelle – rien de moins ! – et qui est un récit absolument passionnant et incroyable, rapporté par le petit jeune du bord qui survécut au voyage ( seule une goélette sur les trois au départ revint en Espagne ) son nom : Antonio Pigafetta de Vicenza – Italia.
    Et tout ça se passait il y a seulement 500 ans…

  • Dans la même catégorie, je vous conseille « L’Île Des Perroquets » de Robert Margerit, une extraordinaire histoire de pirates écrite dans les années 40 par un écrivain… limousin ! C’est paru aux éditions Phébus, collection de poche Libretto. L’égal de Stevenson et de Defoë, vraiment. D’ailleurs, je projette de vous en passer un extrait, un de ces quatre…

  • LECHAUVE Dominique dit :

    moi j’arrive en retard, donc perdu pour un quizz sympa avec Stévenson. Mais je viens de retrouver comme un air de Pigalle Blues dans le Chapitre 1 de ta nouvelle aventure. Bien, au fait j’ai un hôtel place d’Anvers où je vais aller prochainement…

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