Bouquin-quizz n°11

 

Bonjour à tous.
Voici un extrait de… Je veux dire d’un roman de…
Non. Finalement, je ne vais pas vous l’indiquer. Ça vous amusera peut-être d’essayer de deviner.
Et si ça ne vous amuse pas, je vous conseille de le lire quand même. Ça vaut !

Il eut envie, pour sa propre satisfaction, pour se soulager, de lancer un mot grossier, n’importe lequel, le plus vulgaire qui lui viendrait aux lèvres. Cette fille-là, qui marchait sans déplacer d’air, avec un visage de madone, ne se rendait-elle compte de rien ? Ou alors était-elle bête à un tel point ?
Le mot de l’ouvrier maçon lui revint :
– Un bestiau !
Et une bouffée de haine lui monta à la tête, lui serra la gorge, il s’arracha à son morceau de trottoir, se mit à marcher dans la direction opposée.
Il venait de décider de boire, quoiqu’il puisse arriver ensuite, mais il n’entra pas au Café Riche, trop plein, où se trouvaient trop de connaissances. Il poursuivit sa route jusqu’à la rue Neuve et poussa la porte du premier bar.
Ici aussi, il y avait plus de monde que d’habitude mais la plupart des consommateurs suivaient, sur l’écran de télévision installé entre les deux salles les péripéties d’un combat de boxe.
– Qu’est-ce que ce sera, M. Lambert ?
Le patron le connaissait. Il lui était arrivé souvent de boire jusqu’à la fermeture, et c’était de ce même bar qu’il emmenait parfois une fille. L’Hôtel Moderne, où il avait déclenché le fameux scandale, était à deux pas.
– Un marc !
A cause de l’odeur forte et parce que c’est le plus râpeux des alcools. Il avait envie de quelque-chose de crapuleux, d’une sorte de protestation, de profession de foi. C’est dans des moments comme celui-là qu’il éclatait en regardant les gens autour de lui :
Tas de salauds !
– Ça va, monsieur Lambert ?
– Ça va, Victor.
– Vous avez vu le mouvement que cette histoire apporte en ville ?
– J’ai vu.
– Et ce n’est pas fini, croyez-moi.
Victor regarda l’horloge sur le mur opposé.
– Le train de Paris arrive dans trois quarts d’heure et amène les familles. Il paraît qu’il y a déjà plus de cinq cents curieux à la gare pour les voir arriver.
– Nom de Dieu !
– Hein ?
Il avait juré entre ses dents, pris de colère, et il se jeta le marc au fond de la gorge d’un geste furieux.
– Rien. Remets ça !
– Je ne voudrais pas être dans les culottes du type à la traction-avant. Je parie que si on le jetait à la foule, au milieu de la place, il n’en resterait pas un morceau après dix minutes.
Victor, qui en avait vu de toutes les couleurs à la guerre, était peut-être capable de comprendre ?
– Faut se mettre à la place des parents, poursuivait-il à mi-voix. Moi, je me mets aussi à la place de ce type-là, parce que j’ai assisté à un certain nombre d’accidents dans ma vie. Qu’est-ce qui nous prouve que…
– Ta gueule, Victor !
Quelqu’un s’était retourné vers le patron, l’air dur, la voix catégorique.
– Je fais seulement remarquer que certaines gens…
– J’ai dit : ta gueule ! Tu m’as entendu ?
Et Victor se tut, avec, vers Lambert, un regard qui signifiait :
– A quoi bon ?
Celui qui lui avait fermé la bouche était un des individus les moins recommandables de la ville, un ancien boxeur qui faisait les foires de la région et avait de fréquents ennuis avec la police. L’instant d’avant, il suivait le combat de boxe à la télévision ; il avait suffi d’une allusion au conducteur de la traction-avant pour le pousser hors de ses gonds.
Deux filles, à un guéridon, près de la porte, regardaient vaguement devant elles et Lambert les connaissait de vue, elles devaient, de leur côté, savoir qui il était. L’une d’elles, qui avait une dent en or, lui sourit quand leurs regards se croisèrent.
Il fut tenté. Non qu’il eut envie d’elle, mais toujours, comme pour le marc, par protestation. Pourquoi, au point où il en était, ne pas faire quelque chose de bien ignoble ? « Ils » pourraient s’acharner contre lui et son frère Marcel serait content, Angèle et ses pareilles auraient de bonnes raisons de le mépriser.
Il imaginait les journaux du lendemain imprimant :
« La police a fouillé la ville toute la nuit à la recherche de Joseph Lambert, l’auteur de la catastrophe du Château-Roisin, et est parvenue enfin à l’arrêter dans une chambre d’hôtel où il était couché avec une fille publique de bas étage… »
N’est-ce pas dans ces endroits-là qu’on met la main sur la plupart des criminels ? Il n’y avait jamais pensé, mais il commençait à comprendre pourquoi.
La femme à la dent en or, qui avait peut-être surpris son hésitation, ouvrait son sac et se poudrait sans le quitter des yeux.
– Un autre, Victor, commanda-t-il.
Elle demanda, de sa place, en minaudant :
– Moi aussi ?
Il haussa les épaules. Qu’elle boive tout ce qu’elle voudrait, elle et son amie, et toutes celles qui défilaient sur la place comme à la foire !
– Je dois ? questionnait Victor.
– Pourquoi pas ?
Sa femme était chez Jeanne avec ses autres sœurs, toutes les filles Fabre sous le regard ému de ce brave imbécile de Nazereau. Et toutes étaient émues, parbleu ! Et les bonnes âmes de la ville s’en donnaient à cœur joie de pleurer. On se précipitait à la gare pour assister au défilé des parents des petites victimes…
– Ça ne va pas ?
C’était la seconde fois qu’on lui posait la question et, de la part d’un homme comme Victor, c’était dangereux, car il était autrement subtil que Lescure.
– Je suis comme tout le monde, quoi ! lança-t-il.
– Barbouillé, hein ?
Après un silence, Victor questionna :
– Vous êtes allé voir ?
– Non.
– Il y en a qui y sont allés. Après, quand tout le monde s’y est mis, on a dû installer des barrages. Ceux qui ont vu en sont revenus malades.
– Un autre, grogna-t-il.
Victor hésita. Cela lui était arrivé de conseiller amicalement à Lambert de s’arrêter. Pourquoi ne le fit-il pas cette fois-ci ?
– Vous n’allez pas… questionna-t-il sans finir sa phrase autrement que par un regard aux deux filles.
– Bien sûr que non.
– Cela vaut mieux. Entre nous, je ne suis pas sûr qu’elles soient saines.
Il faillit lui répliquer :
– Ce ne serait pas si bête d’attraper la vérole !
Il ne le fit pas, paya tout de suite, sentant que cela allait se gâter, qu’il fallait qu’il rentre chez lui au plus vite.
Dans la rue, il se répétait à mi-voix :
– Il faut que je rentre chez moi. Il faut que je rentre…
Il en avait marre de tout, de sa femme, de son frère Marcel, des filles aux dents en or et des joueurs de bridge, de la ville, des journalistes et des photographes, marre de la radio, des curieux qui se promènent avec un air innocent, des femmes qui pleurent et des Victor qui distribuent des conseils. Il en avait marre de lui-même, marre d’être un homme.

12 commentaires

  • LECHAUVE Dominique dit :

    planté, oui je suis planté, j’ai beau chercher dans ma mémoire, je ne connais ni Victor, ni Lambert dans un même roman surtout aussi complices . Même un rapport a des sœur Fabre et au dénommé Nazereau, ou à la catastrophe d’un Chateau Roisin ne réveille mes neurones.
    Certainement une idée de livre à découvrir pour moi

    • Ce qui est marrant, c’est que ton commentaire comporte le titre du roman… Je sens que tout le monde est un peu dans ton cas, alors je vais lâcher un peu de lest. 1) On remarquera, à certaines petites répétitions et à une ponctuation parfois approximative, que c’est écrit très vite et à peine relu. Le gars était prolifique, c’est sûr ! 2) Ce n’est pas le roman le plus connu de son auteur, surtout car n’y figure pas, pour une fois, le héros qui l’a rendu immensément célèbre. 3) Allez, quoi, années 50, petit bistrot bien français, rapport érotico-misogyne aux femmes…
      C’est signé, me dis-je, nom de non !

  • LECHAUVE Dominique dit :

    auteur prolifique année 50 ? cela ne ressemble pas à du Clavel, ni a Sartre , ensuite j’ai écrit le titre du roman ? Franchement j’avoue mon incompétence cette fois ci .
    Mais j’aime bien  » des filles aux dents en or et des joueurs de bridge » mais pas assez imagé pour du San Antonio que je n’ai guère lu.

  • Comme je vois que ça rame un peu partout, je rajoute un indice en attirant votre attention sur la dernière phrase de mon précédent commentaire : C’est signé, me dis-je, nom de non !
    Lire : C’est SI gné, ME dis-je, nom de NON !

  • johann sosson dit :

    ah simenon le papa du comissaire maigret

  • johann sosson dit :

    sans ton aimable collaboration ,j’avoue que j’etais paumé

  • LECHAUVE Dominique dit :

    le monde de la littérature est tellement vaste, que je n’ai jamais ouvert un livre de Simenon. Il est vrai que je ne suis pas un adepte du policier. Mais je vais certainement commencer un jour, ou une nuit. Cette fois ci Thierry, j’ai perdu, mais je me rattraperai au prochain quizz;;;;;;;;peut être

    • Et voilà, le mystère est levé, l’énigme est résolue, le coupable sous les verrous…
      Ce texte est extrait de « Les Complices », une merveille de petite montée d’angoisse coupable, mettant en scène un notable de petite ville, chauffard qui a provoqué l’accident d’un autocar empli d’enfants, paru aux Presses de la Cité en 1955.
      Certes, ce n’est pas le plus connu des Simenon. Mais si je vous avais soumis un extrait de, voyons… « Le Port Des Brumes » (Fayard, 1963) :
      « … Et l’hiver, à Ouistreham, un étranger ne passe pas inaperçu. De la journée, il ne pourrait quitter la drague. Mais, la nuit, n’allait-il pas se livrer à la besogne pour laquelle il était là ? Le commissaire Maigret, maussade, s’était résigné à monter la garde. Un travail de jeune inspecteur. Des heures à passer, sous la pluie fine, à scruter les ombres tarabiscotées de la drague… »
      Avouez : vous auriez trouvé tout de suite.
      A noter que les oeuvres complètes de Georges Simenon sont disponibles en recueils dans la collection Omnibus.

  • Oliv dit :

    Le charme désuet de l’ecriture de Georges Simenon, Maigret « goguenard » qui tire sur sa pipe en observant les « reliefs » du repas, et qui s’en retourne « derechef » à la brigade… Trop bon ! Cela fleure bon les années 50 en effet.
    Chers lecteurs je prends congé… Bien le bonjour !

  • Hubert bonnisseur de la Bath dit :

    Chez mon tonton à Triel la maison est remplie de livres du seul G.Simenon… Je pense qu’il n’a jamais lu un autre auteur, il y en a partout, c’est impressionnant. Moi à cette époque quand je lui rendais visite j’étais passionné par San Antonio et convaincu que les 2 styles sont incompatibles l’un avec l’autre… Comment dire…mon tonton aimait Brassens, moi Frank Zappa ! Mais j’ai quand même fini par lire un – unique – Simenon : touriste de banane. Mouaif.. Mais il y a quand même des scènes d’action à couper le souffle ( nan là je chambre ) en tout cas depuis j’ai découvert Brassens, merci tonton !

  • Le mieux, pour se faire un stage Simenon, c’est de s’offrir un des volumes Omnibus « Edition du Centenaire », couvertures illustrées de photos de l’auteur, sept à huit romans par pavé, avec dans le lot toujours au moins un des chefs-d’oeuvre : L’Aîné Des Ferchaux, La Veuve Couderc, Les Inconnus Dans la Maison, Port Des Brumes, Les Fiancailles De Monsieur Hire, etc…

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