Olivier

 

Il était homosexuel, né dans les années soixante, à une époque où on pouvait encore en souffrir sévère. Terrible. Sévère. Terrible.
Mais il gardait ses questions et ses frayeurs pour lui, tandis que nous grandissions gentiment dans la torpeur d’une ville provinciale, nous préparant, comme les autres petits bourgeois du patelin, à en prendre un jour les rênes.

Quand, au mitan des années soixante-dix, nos parents ont décidé de bousiller nos adolescences parce que c’était la mode, qu’il fallait s’épanouir, que ce n’était pas si grave de divorcer et autres fadaises, on s’est retrouvés loin l’un de l’autre, chacun dans une ville qui n’était pas, ne serait jamais la nôtre, des maisons où nous ne serions plus jamais chez nous.
Depuis lors, je n’ai rien su de ses blessures.
Depuis lors, il ne connut rien de ma détresse.

L’âge des plaisirs venant, il s’est mis à fréquenter des garçons sauvages et sombres qui l’ont entraîné vers des coins obscurs, oh très obscurs de l’existence.
C’était son aventure à lui.

Et puis enfin, après bien des années de larmes, de terreurs et de souffrances, il a connu l’amour, le grand, le vrai, auprès d’un homme bon, simple et solide qui se prénomme Denis.

Dès que la loi le rendit possible, le maire du XIème arrondissement de Paris les maria, ajoutant aux formules du rituel des phrases souriantes qui, aujourd’hui encore, ronronnent en douce braise dans un recoin de mon cœur.
Parce que j’y étais.
Oh oui, j’y étais !

Comme de juste, au sortir de la mairie, il ne s’appela plus Olivier Poncet, mais du nom de son mari, Olivier Prévot.

Il devînt photographe, éditeur, journaliste, en indépendant, puis dans sa propre entreprise de presse, L’Esprit De Narvik, et enfin dans le magazine Causeur dont l’aventure numérique, puis papier, semblait le passionner.

Un Monsieur, quoi.
Un gars, un vrai.
Un qui en a.

Pour moi, il est le partenaire d’un jeu que nous avions inventé, qui consistait à envoyer l’une contre l’autre les petites voitures de nos deux collections à fond la caisse sur la grande table sur tréteaux qui occupait ma chambre.
Pour moi, il est ce gamin un peu poupin qui calculait comme un diable ses trajectoires pour faire gicler ma bagnole sur la moquette.
Pour moi, il est celui-là qui riait si fort que son grand frère jouât avec lui.

Un AVC vient de l’emporter à cinquante ans même guère plus qu’et demi.
Le soir de Noël. Tu causes d’un cadeau !

Alors, confidence, si par hasard vous me croisez sur un des sentiers de ma chère montagne où j’étais venu choyer ma nouvelle année, ne me parlez pas.
Surtout ne vous gaussez pas de mes larmes.
Ne me regardez même pas.
Laissez-moi…
Laissez-moi…
Laissez-moi…

 

7 commentaires

  • mrcz dit :

    Pensée émue:

    Peu importe ton âge,elles sont les seules qui te soulagent
    vous et moi en sont le langage,
    Elles partagent tes sanglots quand les jours défilent.
    Ta pupille se noye quand on ne relève pas le défi.
    Chacun de nos pleurs nous accompagne à chaque étapes,
    du bonheur à la douleur personne n’y échappe.
    Présente en l’absence d’1 être qui nous est cher.
    on espère que cesse de couler ses larmes amères.
    La larme est souvent plus poignante que l’arme.
    Son parcours reflète la beauté de l’âme.
    Solitaire, elle se lâche à l’abris des regards,
    pour user de son charme, parfois elle s’égard.
    On a tous pleuré sur notre propre sort,
    en espérant que chaque goutte s’entende au et fort.
    Même le plus grand des cador se cache pour pleurer.

    RIP

  • Dom dit :

    Pas de mots suffisant dans mon vocabulaire pour t’exprimer mon soutient, camarade.

  • Carlos dit :

    « ne me bousculez pas, vous vous y prenez mal, je suis fait de cristal et casse entre les doigts, ne me bousculez pas… » JC Remy

    https://www.youtube.com/watch?v=Ab1W96FgjfM

  • A la lecture de ce billet, le 31 décembre, je n’ai pu te souhaiter un joyeux anniversaire ou une bonne année par respect pour ton chagrin et ton deuil. Aujourd’hui, j’adresse simplement une pensée sincère à l’homme qu’il était, au veuf et au frère meurtris. Estelle.

  • Haidouk dit :

    Pas de mots.

  • Le cosmonaute dit :

    Pour les mêmes raisons qu’Estelle je n’ai pu écrire avant. Qu’il repose en paix et que la douleur des proches, frère amis conjoint devienne moins rugueuse dans le temps.

  • edgarpoe dit :

    Toutes mes condoléances. J’avais sympathisé avec lui à travers mon blog, et nous avions quelques fois déjeuné ensemble. Et puis nous nous étions perdus de vue, et je découvre ici sa disparition, après qu’un camarade de blog m’ait demandé de ses nouvelles. Il me reste de lui une photo qu’il m’avait offerte, de retour d’un voyage en Turquie. C’était un passionné et un chercheur.

Répondre à Haidouk Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *